En mars dernier, je prenais le train au départ de Paris pour me rendre en Norvège.
Evidemment, qui n’est pas sensible aux merveilles qui regorgent sur les réseaux, d’images plus belles les unes que les autres, aux moult offres de voyages exotiques...Le monde occidental fait du voyage une sorte de fétichisme créateur de notre identité. Nous cherchons sans cesse à être validés par les autres, quant à oublier de vivre pleinement les moments afin d’en faire une démonstration sociale qui vire à la névrose. Comme si la liste de destinations cochées légitimait la profondeur d’esprit ou la valeur d’une personne.
Le virtuel occupe une place prédominante dans nos vies et le temps est désormais remplacé par des énergies qui le dépassent. C’est une véritable course contre la montre qui rythme notre quotidien, perpétrée par l’obsession de rentabilité. Rappelons-nous quand même qu’auparavant, la communication était postale, et celle-ci demandait un gros travail. Il fallait des jours, voire des semaines, pour recevoir une réponse. Alors on écrivait quand on avait des choses importantes à dire, et cela exigeait du temps pour le formuler.
Mes idées claires quant à ma responsabilité, je renonçai à prendre l’avion.
Mon itinéraire m’a demandé pas mal de temps de préparation, notamment sur les lignes de trains, les étapes et les logements. In fine, je suis passée par Duisburg, Hamburg, puis Copenhague où je me suis arrêtée dormir.
Je suis repartie le lendemain direction Göteborg pour enfin reprendre un dernier train vers Oslo. Une bonne vingtaine d’heures de train au compteur, cela paraît effrayant, mais ce temps me parut pourtant bien plus rapide que je l’imaginais et même agréable. J’ai vu défiler les paysages, aperçu quelques biches par la fenêtre, rencontré un Norvégien avec qui j’ai pu échanger une journée entière, car il arrive parfois quelques imprévus et une ligne de train endommagée me fit louper le suivant.
Nous nous tînmes compagnie pendant 6 bonnes heures à Göteborg. Je me souviens qu’il me questionna sur ce que j’aime faire ; j’ai répondu « j’aime marcher ». Il me dit ensuite que les gens ne prennent plus le temps de marcher, parfois nous passons autant de temps dans les transports que si nous avions choisi de faire le chemin à pieds et lui s’attache au maximum à ne pas oublier son propre corps comme moyen de déplacement. D’une certaine façon, il s’agit de modérer un monde surnaturel et illusoire...
Les voyageurs amoureux de la Nature ne sont pas en voie d’extinction, les autres espèces avec lesquelles nous cohabitons le sont.
Comment ne pas être affligés par l’impact que nous avons sur notre environnement ?
Ces questions anodines pour certains, facilement bafouées, me paraissent pourtant essentielles quant à notre manière de cohabiter sur cette planète.
Quête de beauté, de défis insolites, s’enivrer de nouvelles cultures ou d’horizons... telles sont les réponses que l’on obtient souvent lorsque l’on interroge un voyageur sur ses motivations. A priori un panel de belles vertus.
Cependant, si l’on décide de lever le voile quant au désastre que provoque le tourisme de masse, celles-ci sont rapidement balayées.
En Norvège, j’appris que certains sites victimes du tourisme de masse commencent à sévèrement se détériorer. Je choisis donc de ne pas y aller.
Certains espaces protégés abritent des animaux magnifiques comme le parc national de Dovrefjell. Je m’y rendis accompagnée d’un homme qui habite dans le coin et celui-ci m’expliqua que les bœufs musqués, traqués par les touristes qui veulent les prendre en photos, perdent leurs repères.
Lui se balade tous les jours dans ce parc, il les croise parfois et les respecte profondément. Il ne cherche pas à obtenir quoi que ce soit, en les observant au loin lorsque l’occasion se présente, et vit ces moments dans un respect paisible. Façon de dire que nous ferions mieux de mettre un peu d’humilité dans nos rapports, que j’apprécie beaucoup.
Reprenons la route en intégrant à notre itinéraire un regard consciencieux.
N’oublions certainement pas de rêver, mais profitons-en pour créer de nouveaux récits qui redonneraient le goût du vrai et raisonneraient cette course au plaisir qui, avouons-le, s’avère insatiable.
La période que nous traversons nous confronte indéniablement à l’interdépendance qui nous permet de vivre sainement, et sans laquelle tout s’effondre. Elle représente probablement même le microcosme des années à venir, puisque les populations les plus vulnérables seront injustement les premières impactées. En ce sens, je pense à un extrait de “Socrate et Alcibiade” « la pensée la plus profonde aime la vie la plus vivante » Friedrich Hölderlin.
Loading more...